LLDP#14: Le mystère des êtres

Gabriel et Ania ont été proches, pourtant. C’était, après la mort accidentelle de la mère, lorsqu’ils ont reformé un cocon, lui le veuf et elle la fillette, à l’abri dans le cadre champêtre des Epinettes, la propriété familiale. Puis, peu à peu, une faille s’est créée entre eux, d’un côté l’intellectuel, homme de radio respecté, de l’autre la gamine décevante, cancre multi-redoublante. Et le temps n’a fait que creuser ce fossé. Gabriel s’est remarié avec Clara. Ania a épousé Novak le Serbe, ensemble ils ont fait un petit Théo avant de divorcer.

Or, un terrible fait divers ramène Ania aux Epinettes. Deux jeunes du village ont tué un émigrant comorien. Gabriel, en ayant l’air de comprendre les meurtriers, a déclenché un scandale. Exclu de la radio, il n’a pas supporté le désaveu et s’est suicidé. Les circonstances forcent Ania à revenir, des années après, dans le cadre de son enfance. Où elle fait la connaissance de Clara, la seconde épouse. Elle regarde, passive, celle-ci préparer les obsèques de Gabriel, qui risquent de se transformer en un événement houleux…

Avec cette Autopsie d’un père, Pascale Kramer rappelle Les Vivants, le roman qui a attiré l’attention sur elle en 2000 : elle y ciblait les conséquences de la mort de deux jeunes enfants  sur leurs parents. De la même façon, la romancière suisse étudie les échos et les remous que suscite un drame dans la vie quotidienne d’une poignée de personnages. On notera aussi un point commun avec Gloria, son précédent ouvrage (2013) : le héros, Michel, était comme Gabriel tombé dans l’opprobre pour avoir été soupçonné d’attouchements sur une des femmes qu’il suivait en tant que travailleur social.

Si Pascale Kramer gagne à être lue, ce n’est pas tant pour les sujets de ses romans que pour sa manière, bien à elle, de les traiter. Elle évite le sensationnel, privilégiant au contraire les réactions de gens ordinaires pris dans la trame du quotidien. Elle ne fait pas de la psychologie, mais s’attache à décrire, avec une précision d’entomologiste, les détails physiques, l’apparence, les attitudes. Et ce parti-pris behavioriste entretient le mystère des êtres, l’opacité qu’ils opposent aux regards des autres. Enfin, c’est une styliste qui, aux longs discours, préfère la concision de phrases nerveuses et pourtant élégantes. Un exemple tout simple ? Voici : « Ania sentait le découragement la submerger, comme un afflux d’amertume à sa gorge. »

Papa

804629Autopsie d’un père, de Pascale Kramer (Flammarion)

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